Le film CORPORATE ou l’Entreprise, ton Univers Impitoyable !

Sorti dans les salles françaises le 5 avril dernier, Corporate est le premier long métrage de Nicolas Silhol (court-métrage L’amour-propre en 2011). Il réunit sur la même affiche Céline Sallette, Lambert Wilson, Stéphane de Groodt et Violaine Fumeau. Les thèmes du burn-out et du stress au travail se sont largement invités. Et ce, encore très récemment, dans le cadre de la campagne présidentielle notamment. Ce premier film tombe donc à pic ! En effet, ce thriller psychologique met en lumière les mécanismes du management par la terreur de plus en plus utilisés dans de nombreuses sociétés. Corporate constitue une première marche pour la réhabilitation de l’Humain dans le monde de l’entreprise d’aujourd’hui. Ne passez pas à côté.

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Les grandes lignes du scénario

Brillante responsable des ressources humaines dans un groupe agroalimentaire, Emilie Tesson-Hansen (Céline Sallette) n’a pas d’état d’âme. Dalmat, un cadre d’une quarantaine d’années, veut la rencontrer mais la jeune femme ne cesse de repousser le rendez-vous. Il finit par se suicider dans l’enceinte de l’entreprise. Emilie est tout de suite pointée du doigt. L’inspectrice du travail l’a dans sa ligne de mire. Ses supérieurs ne sont pas plus tendres, notamment Stéphane (Lambert Wilson), le directeur des ressources humaines. Alors qu’elle tente de s’éviter la prison, elle donne des informations à l’inspectrice sur les méthodes de la société…

Mon éclairage

Corporate est réaliste :

Le réalisateur a « baigné » dans cet univers puisque son père est professeur de management en école de commerce et consultant RH. Nicolas Silhol précise en interview qu’il avait été frappé par la série de suicides chez France Télécom et par le développement de l’entreprise qui n’hésite plus à broyer ses salariés sous couvert d’une meilleure performance. Son film n’est pas pour autant une mise en accusation à la française du profit ou de l’argent.

Corporate n’est pas contre les RH non plus de façon générale. Le contexte imaginé colle à l’actualité : en raison d’un chiffre d’affaires en baisse, tous les jours, des comités de direction décident de diminuer les effectifs humains d’un certain pourcentage. C’est ensuite au DRH de trouver une solution qui coûte le minimum à l’entreprise et d’éviter de verser des indemnités.
Le film est précis et déroule des situations qui sont vraies : le plan Ambition 2016, le séminaire RH, le CHSCT, l’open-space avec son coin photocopieur, le bureau du chef avec ses parois vitrées.
Le titre lui-même est très souvent utilisé en entreprise pour suggérer une appartenance totale à l’état d’esprit d’une société.

Corporate est utile :

Plus qu’un guide du fonctionnement des RH au temps du capitalisme, ce film invite à saisir la mécanique de la souffrance en entreprise. Il décortique le vocabulaire de la souffrance psychique au travail. Et ses conséquences manifestes sur les corps des salariés.
Cette représentation est essentielle pour chacun d’entre nous et quelle que soit notre situation. En effet,  se rendre compte permet de comprendre et de mieux entourer celui qui supporte silencieusement (un membre de sa famille, un ami, un collègue). Corporate contribue également à briser le silence et autorise celui qui est victime d’une pression répétée et malsaine à parler. Son visionnage est aussi un bel atout pour n’importe quel dirigeant ou manager. Enfin, ce film permet de libérer un peu plus la parole et peut « faire mouche » auprès des femmes qui travaillent et évoluent dans un monde d’hommes.
Corporate demande jusqu’où l’entreprise doit aller pour servir ses intérêts, quelle frontière de compromis ne doit-elle pas dépasser et interroge sur les conséquences d’une manipulation quotidienne au service de méthodes de travail sans foi ni loi.

Corporate est humain :

Le film repose sur l’humain, sur sa place dans l’entreprise et superpose divers échantillons de la nature humaine. D’ailleurs, c’est le facteur humain qui va faire basculer dans l’imprévisible cette société dont le fonctionnement ressemble à un tableau excel. L’humanité prend doucement forme à travers le personnage pivot, Emilie. Au début du film, femme consentante et même active d’un système qui lui promet une carrière toujours plus brillante, Emilie est dans le contrôle permanent et paraît inébranlable. Mais sa carapace va se fissurer au fur et à mesure par instinct de survie d’abord, par altruisme à la fin du film. Emilie se réveille progressivement et reprend contact avec ses émotions. Lorsque Nicolas Silhol filme Emilie en tant que mère et épouse, il nous murmure que c’est bien la fonction qui l’a pervertie.
L’humanité transpire à travers Marie Borrel (l’inspectrice du travail jouée par Violaine Fumeau), libre et décomplexée qui lutte contre une rentabilité inhumaine. Nicolas Silhol a beaucoup enquêté auprès des inspecteurs du travail. Grâce à eux, il a découvert les outils de management – la courbe du deuil, la mobilité forcée, l’évaluation comportementale. Il a réalisé l’enjeu compliqué auxquels ils sont confrontés : comment prouver un lien de causalité entre le suicide ou la dépression d’un salarié et ses conditions de travail ? Comment ces preuves peuvent être effacées par l’entreprise? Nicolas Silhol reconnaît que les inspecteurs de travail, qui souffrent d’une réputation affreuse, font un travail indispensable. L’inspection du travail peut donc être aussi un recours, une aide pour le salarié en danger !

Corporate est un baume au cœur :

Marie, l’inspectrice du travail, est spontanée, généreuse et donne l’espoir d’une bouffée d’air pur.
Corporate rappelle qu’on peut toujours faire un choix ! Dans l’entreprise, le pire comme le meilleur de chacun peut se révéler. Et chacun a une responsabilité dans ce système. Le film pose donc la question du libre-arbitre au sein de l’entreprise. Et de la capacité à briser l’esprit « corporate » de celle-ci.
La fin du film est libératrice comme on aimerait qu’il puisse s’en produire plus souvent dans le monde réel.
Nicolas Silhol a décidé de montrer son film à des associations de DRH et de médecins du travail.
Enfin, Corporate est réconfortant pour ceux qui ont mal à leur travail car il prend fait et cause pour les salariés et rétablit l’équilibre. Il entrebâille la porte aux politiques de management positives.

A retenir

  • La manipulation dans le travail, quelque soit sa forme ou son intensité, n’est pas admissible
  • Parler est indispensable et se faire aider par une personne extérieure est toujours possible
  • Le bonheur au travail est accessible

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